Aïe ! Une nouvelle très triste pour le reggae : le label pointu Makasound est en liquidation judiciaire pour notre plus grand malheur. Fruit d'une rencontre entre ses deux frenchies fondateurs et Winston McAnuff, Makasound avait permis à de nombreux amoureux de la musique de dédouvrir les Inna De Yard (Kiddus I, Earl Chinna Smith, Derajah, et tant d'autres) mais aussi de redécouvrir tout plein de perles classiques ou des raretés (Carl Harvey, The Viceroys, The Rastafarians, etc...).
C'est donc le coeur lourd qu'on assimile la nouvelle, surtout qu'on pensait le label solide avec ses tournées importantes et ses sorties attendues par les fans. La faute à l'internet ? A l'électro ? La faute à qui ?
L'un des fondateurs s'est exprimé à ce sujet sur Libération en disant ceci :
"Le Midem a fermé ses portes, et avec lui s’est éloigné l’exposé annuel sur le marché de la musique. Pour le plus grand plaisir de ceux qui vociféraient il y a dix ans contre les méchantes « majors », la fête est finie chez tous les producteurs de disques. On est loin des fêtes aux éléphants avec Eddie Barclay ! En quelque dix années, les ventes de disques ont baissé d’environ 70%, celles du monde numérique ne représentent que quelque 15% des ventes physiques. C’est dire que la révolution numérique n’est pas une alternative réelle pour produire de la musique. Car c’est quand même de cela qu’il s’agit. N’en déplaise aux fossoyeurs des producteurs, cette triste nouvelle se partage surtout avec les artistes et les musiciens.
Nous fermons, avec regret, le petit label que nous avons mis neuf ans à construire. Plus de soixante-dix disques sortis, des concerts, des tournées, des diffusions radios (un soutien sans faille de Radio France et Radio Nova), des articles, ont valu à nombre de nos artistes (1) une renommée méritée auprès des amateurs de musique. Nous avons « créé une marque » comme on nous le dit, un « label », synonyme de sérieux et d’enthousiasme, dans une esthétique de « Musiques du monde ». Aujourd’hui, ni ce catalogue d’enregistrements ni cette marque n’ont de valeur. Nous avons cherché à « nous vendre » pour continuer, nous, indépendants depuis le début. Malheureusement, selon les lois du marché, cette musique ne vaut rien, ce travail non plus, son avenir encore moins. La musique doit être consommée tout de suite, comme une pizza. Signe des temps, toutes les maisons de disques rêvent d’associer une marque à la sortie d’un album. Faire payer la pub, vu que l’on n’espère plus grand-chose de celui pour laquelle on la joue et l’enregistre : le public.
Comment pourtant blâmer ce public ? Il écoute de plus en plus de musique ! Il ne la paie pas, c’est tout. S’en prendre à Internet, cette machine à faire du gratuit avec tout ? Non, les évolutions techniques font bouger les industries, les modes de consommation, les plaisirs. Les choses avancent, heureusement. Le CD a (presque) fait disparaître le vinyle, faut-il le regretter ? La tendance est à l’écoute tout le temps, partout. Ecologique oui ! Plus de fabrication de plastique, pas de déplacement au magasin de disques, un bon bilan carbone et une écoute possible sans limite.
Mais alors, qu’est-ce qui cloche ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à faire vivre artistes, producteurs et intermédiaires ? Deezer, Spotify, YouTube et les autres sont-ils vraiment les nouveaux vecteurs d’un accès enfin illimité à la musique, comme l’était un temps « Philips, l’inventeur du compact disque » ? Le problème, c’est qu’eux non plus ne paient pas la musique. Ils ne la font pas et ils ne la paient pas. Ou ils la paient selon un modèle qui les arrange. 100 000 écoutes rapporteraient dans les 150 euros, à partager royalement entre producteur et artiste. Quel artiste, quel producteur, peut applaudir à ce calcul ? La vérité, c’est que par un tour de magie qui n’a pris que quelques années, la musique enregistrée a perdu toute sa valeur.
Comment les maisons de disques, via leurs organismes professionnels, ont-elles pu signer des accords sur une base pareille ? Sommes-nous à ce point prêts à mendier notre travail et notre avenir ? Dois-je me réjouir que les 500 000 nouveaux abonnés de téléphone Orange-Deezer puissent écouter gratuitement (ou presque) nos productions passées et futures ? Fallait-il vraiment tester si vite ce « nouveau modèle » ? Un modèle qui diffuse gratuitement, mais qui ne permet pas de produire. A vouloir aller trop vite, on oublie l’essentiel…
En attendant de savoir si ce modèle fonctionnera un jour, de nombreux projets d’albums resteront dans les cartons. On a dû oublier de dire qui sont les producteurs dans toute cette histoire. La très grande majorité d’entre eux (malheureusement pas la plus visible) est composée de vrais passionnés qui mettent leur énergie au service de la création artistique et de sa transmission. Ils trouvent des moyens et prennent des risques pour que cette passion se partage avec le plus grand nombre.
Produire un album est un processus long et la musique a un coût. Une émotion enregistrée, vécue, transmise, voici ce qu’est souvent la musique. Pour ramener d’Afrique, de Jamaïque ou d’ailleurs l’enregistrement d’un groupe, il faut bien financer l’aventure. En faisant le pari d’être payé en retour. Si le paiement est de quelques centimes sur Deezer, ce voyage ne se fera plus.
Ainsi que devons-nous espérer ? Des mécènes ? Et pourquoi pas la charité ? Signe des temps, la couverture du magazine professionnel Musique Info Hebdo, a été achetée par une start-up d’un nouveau concept : redonnez de l’argent aux artistes que vous aimez (mais que vous écoutez sans payer). Une sorte de compensation CO2 volontaire…
Ce n’est donc pas seulement Deezer qui nous a tués. L’affaire est plus compliquée. Puisque l’on peut encore envoyer ses vœux, les miens s’adressent à ceux qui continuent à se battre pour la production musicale dans ces conditions risquées. La traversée finira bien par nous ramener sur la terre ferme !
(1) Winston et Matthew McAnuff, Java, Victor Démé, Inna de Yard, Jaqee, R. Wan, la Caravane passe, Clinton Fearon…
Paru dans Libération du 09/02/2011"
Admirateur de ce projet depuis ses débuts je ne peux que saluer les artistes et leur souhaiter un belle et longue route malgré cette désillusion.
En espérant que le reggae survive à toutes ces fermetures de labels inna de France.